Émilie Lépron
Directrice générale
CROS Occitanie
Coordinatrice interrégionale sud-ouest
CNOSF
Bonjour, Émilie, nous avions fait, dans notre édition de juin, un large tour d’horizon du sport Occitan, du CROS, du sport en général, mais également de la situation inédite au sortir du premier confinement. Six mois plus tard, nous sortons doucement du deuxième, j’imagine que la situation s’est forcément dégradée pour le sport en général ?
Pour les ligues ?
La situation est effectivement délicate, car la pratique sportive est partiellement à l’arrêt (reprise progressive depuis le 28/11 puis le 15/12 selon les activités et les publics). D’après une étude menée par le Dispositif Local d’Accompagnement (porté par le Mouvement Associatif Occitanie) et le CROS, les 50 Ligues et Comités Régionaux ayant répondu à l’enquête n’ont pu reprendre la totalité de leurs activités, notamment en lien avec la formation, l’appui à leurs membres et l’accompagnement de projets. Les résultats de ces enquêtes seront dévoilés le mardi 19 janvier à 18 h 30 en visioconférence. La majorité des salariés est en situation de télétravail et près de la moitié des structures ont toujours recours au dispositif d’activité partiel. 76 % des têtes de réseau subissent une perte de ressources, n’entraînant pas, pour le moment, de grandes difficultés de trésorerie, mais 57 % des associations régionales, elles, craignent une dégradation de leur situation financière dans les 6 mois à venir. Toutes les Ligues et Comités Régionaux ont maintenu un lien avec les comités départementaux et clubs, notamment via les outils numériques.
Pour les clubs ?
Selon cette même enquête précitée et au regard des 1600 clubs répondants, représentant plus d’une trentaine de fédérations, 69 % ont maintenu une activité, souvent numérique, et 15 % ont développé de nouvelles activités,
malgré le désengagement des bénévoles constaté dans plus d’une association sur 3. 63 % des associations employeuses ont eu ou ont toujours recours à l’activité partielle et 12 % des clubs ont été contraints de réduire
leur masse salariale, face aux périodes de suspension de leurs activités. Plus de 80 % des clubs ont subi des pertes de revenus, 75 % d’entre eux constatent une diminution du nombre de licenciés. Toutefois, le soutien des pouvoirs publics est à souligner, puisque 62 % des clubs n’ont pas perdu de subventions
Pour le CROS ?
Pour le CROS, le second confinement n’a pas été aussi brutal que le premier. Nous avons su réagir rapidement pour adapter l’ensemble de nos actions et poursuivre nos projets. Contrairement au second trimestre 2020, nous n’avons pas eu recours à l’activité partielle, mais avons bien entendu suivi les préconisations gouvernementales en adaptant l’organisation du travail en favorisant le télétravail, quand cela est possible. À l’image de la situation du secteur du sport, toutes les interventions auprès de nos publics cibles n’ont pas pu avoir lieu en présentiel et nous subissons une perte financière importante, notamment sur nos actions auprès des entreprises, annulées ou reportées pour la majorité, tout comme de nombreuses opérations au sein des établissements scolaires. Le numérique a pris toute sa place dans notre quotidien : les sessions de formation se réalisent en visioconférences, les conférences et animations sportives à destination du milieu professionnel s’organisent par écrans et caméras interposés, le mot «webinaire » a intégré notre vocabulaire pour maintenir l’information auprès de nos membres…
Pour ce qui concerne le CROS, l’arrêt du sport amateur et de son économie a-t-il influé sur vos activités ? Il a fallu inventer un autre modèle ou simplement adapter des ressources existantes ?
Les interventions sportives et pédagogiques en présentiel, pour lesquelles nous faisons appel au Mouvement Sportif, ont forcément été impactées par l’arrêt des activités. Nous avons adapté le contenu et les ressources à notre disposition et avons eu le soutien de nos partenaires (Mouvement Sportif, Sportifs de Haut Niveau, partenaires institutionnels…) qui
n’ont pas hésité à participer à nos différentes actions, à distance. Le numérique ne peut pas remplacer le lien social généré par la pratique sportive en présentiel, mais pour les activités transversales du CROS (professionnalisation du tissu associatif, réunions d’information…) et au regard de la superficie de notre région, les outils digitaux et l’adaptation du format ont finalement permis une meilleure accessibilité aux bénévoles et salariés du secteur, car la contrainte du déplacement était levée… nous allons ainsi tirer certaines conclusions de ces derniers mois particuliers et faire perdurer, peut-être, certains modèles que l’on ne pouvait envisager comme durables il y a encore plusieurs semaines…
Le paradoxe fait que nous sortons d’une année olympique pour plonger dans une autre, celle des Jeux à Tokyo, qui elle-même précédera les Jeux d’hivers à Pékin… avec la perspective, omniprésente ici en France, de Paris 2024, on va parler JOP tout le temps pendant 3 ans ?
Les JOP sont une véritable opportunité de replacer le sport comme un élément essentiel de la vie des Français et ces événements planétaires vont rythmer nos projets pendant ces 3 prochaines années. Ce sont d’excellents supports pour inciter tous les publics à intégrer l’activité physique et sportive dans le quotidien de toutes les générations (des jeunes aux séniors), pour proposer des projets innovants, durables et construire l’héritage que laisseront les Jeux à la France, mais aussi à notre territoire d’Occitanie.
Sentez-vous une effervescence de la part du monde sportif, économique ou institutionnel ?
Dans le contexte actuel, l’effervescence est malheureusement atténuée par les craintes et réalités du terrain… car il ne faut pas oublier que c’est la pratique sportive qui anime nos associations et les ressources, notamment bénévoles, qui donnent de leur temps. Les mesures d’aides financières annoncées pour le secteur sont bien accueillies, mais ce qu’attendent avant tout les associations, c’est de pouvoir reprendre une activité normale, rythmée par les séances d’entraînement, les compétitions et championnats, les échanges sociaux et conviviaux… Les mondes économique et institutionnel seront également des acteurs importants des JOP… malheureusement, leurs priorités actuelles sont tout autres… car les dommages financiers et sociaux risquent de les impacter sur le long terme. Les prochaines semaines seront décisives, je ne doute pas que ces JOP seront l’occasion de rassembler la population et l’ensemble des acteurs, nous travaillerons en ce sens!
Le monde sportif amateur a des préoccupations très immédiates alors que le mouvement sportif national parle de 2024, certains élus au sport me disent que plusieurs associations ne survivront pas à cette crise sanitaire, ne craignez-vous pas une incompréhension ?
Face à des associations financièrement fragiles, qui plus est, employeuses, je ne doute pas que l’ensemble des acteurs du sport (Mouvement Sportif, État, Collectivités Territoriales et même tissu économique) feront leur possible pour mobiliser des aides économiques pour éviter le pire… bien qu’il ne faille pas que la situation perdure encore longtemps… une troisième saison sportive incomplète pourrait effectivement mener à l’incapacité des associations d’assumer toutes leurs charges, avec des dispositifs d’accompagnement qui ne pourront malheureusement pas être renouvelés indéfiniment… Je suis plus inquiète sur la motivation des bénévoles, si les conditions de réalisation de leur engagement bénévole ne changent pas… Mettons-nous à la place d’un président de club, qui voit la prise de licence = amputée d’environ 25 % cette saison, qui suspend ses activités sur des périodes plus ou moins définies, qui renonce aux recettes de ses stages, tournois, animations annulées, qui passe des heures à déchiffrer les communiqués de presse et décrets pour mettre en place des protocoles sanitaires parfois contraignants, qui attend (parfois longtemps… ou toujours) l’autorisation de mise à disposition des infrastructures, qui parfois gère des ressources humaines tel un chef d’entreprise, avec toutes les craintes liées au maintien de l’emploi… et tout cela sur son temps libre… je comprendrais que malgré toute sa passion pour sa discipline et son association, qu’il privilégie d’autres intérêts, peut-être plus personnels… je suis sincèrement reconnaissante de tous ces bénévoles, qui se battent depuis le mois de mars, pour que le sport continue d’animer nos vies et nos territoires… Si ces ressources humaines indispensables à la vie associative rendent les clefs de «la boutique », je ne suis pas certaine que l’on trouve beaucoup de candidats pour les remplacer. Dans ce cas, effectivement, certaines associations pourraient s’éteindre. Il faut rester optimiste, des jours meilleurs arriveront !
Il est évident que Paris 2024 doit être le phare du sport français. Comment rapprocher cette perspective et le quotidien du sport français ?
Paris 2024 doit être le fil conducteur de projets à long terme, auprès de tous les publics. C’est l’opportunité de déployer des projets structurants dans tous les lieux de vie des Français, quel que soit leur âge. Paris 2024 doit permettre de rendre le sport plus accessible. Des appels à projets sont déployés par Paris 2024, l’ANS, le CNOSF et le CPSF, dans le but d’accompagner le développement de projets, à tous les échelons territoriaux.
Si les grands projets structurants bénéficient de ressources multiples, le sport amateur est porté en grande partie par les communes ou agglomérations, comment rapprocher ces deux mondes ?
L’Agence Nationale du Sport et sa déclinaison territoriale à travers la Conférence Régionale du Sport et les Conférences des Financeurs, permettront, je l’espère, de renforcer une politique sportive partagée par l’ensemble des acteurs, y compris le secteur privé. Pour notre part, par le biais du label « Terre de Jeux 2024 », nous souhaitons rapprocher le Mouvement Sportif et les collectivités. Pour cela, le CROS a lancé début décembre, la première newsletter à destination des collectivités. Nous proposons, à travers cet outil, le référencement d’un certain nombre de thématiques et d’actions, au service des communes, pour alimenter les politiques sportives locales et animer le label « Terre de Jeux 2024 ». Un support plus institutionnel, élaboré avec le CPSF, est également en cours de finalisation, pour proposer une première approche de nos missions et être identifiés par les collectivités, comme des interlocuteurs privilégiés en matière de sport sur nos territoires.
Les municipalités gèrent, entretiennent et animent une grande partie des lieux de pratiques sportives, s’adaptent et créent de nouvelles aires sportives de plein air, et pourtant se plaignent du manque de concertation de la part des institutions sportives ?
L’enjeu des équipements sportifs est fort, car les infrastructures conditionnent directement l’offre de pratique d’un territoire. La mise en place de la CRS et l’état des lieux qui sera réalisé pour lancer les travaux de cette instance permettront peut-être d’actualiser le schéma des équipements sportifs pour harmoniser, à terme, la construction et la rénovation, et assurer une cohérence sur les territoires. Il convient tout de même de préciser que l’attribution de fonds publics (notamment crédit ex-CNDS puis ANS) pour les travaux de création ou de réhabilitation des équipements fait l’objet, par les services instructeurs, d’une note d’opportunité, notamment afin de conserver une logique de répartition de ces infrastructures.
Le label, Terre de Jeux 2024, semble être une excellente passerelle de concertation, de nombreuses communes l’obtiennent, dans quel objectif ?
La Label Terre de Jeux 2024 permet à toutes les collectivités qui partagent les valeurs du sport de s’engager à faire vivre les JOP et à contribuer au projet national. Plus le nombre de communes labellisées sera important, plus le sport animera nos territoires. Dès le début de la candidature, Paris 2024 a associé les collectivités, notamment à travers des sessions de concertations. Aujourd’hui, ces collectivités peuvent elles-mêmes devenir actrices des JOP, en mobilisant leurs citoyens. Ce label était également une condition pour devenir Centre de Préparation aux Jeux.
Quel est le rôle du CROS dans cette démarche ?
Le CROS souhaite encourager les collectivités à donner plus de place au Sport et à développer des politiques sportives locales ambitieuses, avec le Mouvement Sportif. Grâce à notre maillage territorial, avec les CDOS, nous souhaitons nous positionner comme des centres de ressources pour les communes qui auraient besoin d’accompagnement. En effet, au regard de nos visions transversales sur de nombreuses thématiques (via notre feuille de route nationale) et divers publics, nous pouvons les orienter vers des dispositifs ou projets. De la stratégie à la mise en œuvre, nous sommes au service des élus et agents, pour rendre les communes plus sportives. In fine, nous souhaitons accompagner les collectivités labellisées dans l’animation et l’évolution de leur label et permettre à des collectivités non labellisées de le devenir prochainement, car elles auront construit un projet sportif global, durable et ambitieux.
Merci Emilie Lépron
Propos recueillis par André Lafenetre