Plusieurs mois après de multiples révélations et l’ouverture d’une enquête sur les dérapages supposés de Noël Le Graët, le rapport d’audit des enquêteurs mandatés par le ministère des Sports a été rendu.
Je vous propose une synthèse de ce rapport de l’inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche (IGÉSR) relative au pilotage de la Fédération française de football (FFF). Les conclusions sont édifiantes.
L’IGESR a auditionné ou s’est entretenue avec pas moins de 114 personnes, membres du COMEX, cadres de direction et salariés au siège de la fédération et au centre national de football de Clairefontaine, anciens salariés de la fédération, etc.
La mission constate d’abord que, dans le contexte de crises qu’elle connaît ou a connu, la FFF doit faire évoluer une gouvernance au pouvoir très concentré, sans réel débat, ne favorisant pas l’expression politique des oppositions au sein de ses organes.
Selon la mission, le fonctionnement du COMEX illustre « une faiblesse d’exercice démocratique » : il est avant tout identifié comme un lieu de constats et de consensus ; les points à l’ordre du jour des réunions régulières concernent davantage l’administration de la fédération que ses orientations stratégiques ; les projets, finalisés avant d’y être présentés, sont peu ou pas débattus, comme dernièrement concernant la prolongation du contrat de Didier Deschamps au poste de sélectionneur des Bleus.
Le rapport fait aussi état d’une succession de crises dont la plus importante s’est cristallisée au moment de la Coupe du Monde 2018. Un rapport du 30 septembre 2020 uniquement remis au président de la Fédération qualifiait le climat du CODIR « de délétère » et le management de la directrice générale « de brutal et d’erratique ».
Cela avait conduit à un plan de sauvegarde de l’emploi, qui entraînait 24 licenciements pour motif économique, 22 suppressions de poste et 4 modifications de contrat de travail, mais le maintien surprenant de la directrice générale Florence Hardouin, pourtant impliquée dans plusieurs problèmes visés dans le rapport.
Élu président de la FFF en 2011, M. Le Graët jouissait quant à lui d’une image très positive dans le monde du football, après avoir redressé les finances de la FFF et modernisé son organisation au service d’une dynamique sportive positive. Pourtant, le rapport met en évidence un exercice d’un pouvoir très centralisé par le président de la fédération, qui délègue peu, privilégie les relations interpersonnelles sans s’appuyer sur les structures de gouvernance statutaires et gère les crises à distance.
Depuis près de deux ans maintenant, les prises de position publiques déplacées de M. Le Graët se sont multipliées au point de se révéler incompatibles avec l’exigence d’exemplarité attendue d’un président de fédération sportive. Le rapport souligne que ces nombreuses déclarations entrent dans le champ des faits répréhensibles du règlement disciplinaire de la FFF sur les « comportements contraires à la morale, à l’éthique ou portant atteinte à l’honneur, à l’image ou à la considération de la FFF », mais qu’aucune procédure disciplinaire n’a été engagée à ce jour.
Les auditions conduites par la mission ont mis en lumière le comportement inapproprié de M. Le Graët vis-à-vis des femmes. Elles relèvent non seulement des propos et des SMS émanant bien de M. Le Graët, ambigus pour certains, et à caractère clairement sexuel pour d’autres.
Compte tenu de son comportement envers les femmes, de ses déclarations publiques et de la défaillance de sa gouvernance de la FFF, la mission considère que M. Le Graët ne dispose plus de la légitimité nécessaire pour administrer et représenter le football français.
Les faits évoqués par plusieurs témoignages recueillis par la mission étant susceptibles de recevoir une qualification pénale ont amené la mission à saisir Mme la procureure de la République de Paris, le 13 janvier 2023, conformément à l’article 40 du code de procédure pénale.
À ce jour, rien ne dit si le Président de la fédération démissionnera, et si tel est le cas, si le COMEX, qu’il a lui-même mis en place, demeurera aux commandes ou s’il prononcera sa dissolution ; ce qui entraînerait une nouvelle élection dont on dit qu’un ancien ballon d’or et capitaine émérite de l’équipe de France serait peut-être intéressé pour y concourir.
Christophe Marciano